René Robaye

Quiconque a fréquenté la Faculté de droit ces 25 dernières années a inévitablement croisé le chemin de René Robaye. Les étudiants retiennent généralement de lui ses qualités de pédagogue, son humour piquant, son sens prononcé de la fête mais aussi, très certainement, son examen de droit romain. En revanche, beaucoup ignorent sans doute qu'il a suivi des études en langues romanes avant de se consacrer au droit, qu'il a fait ses premières armes d'enseignant à l'Université catholique de Louvain et qu'à une époque pas si lointaine, il a été doyen de la Faculté de droit de Namur. A l'occasion des 50 ans de l'institution, il nous remémore ces différentes étapes de son parcours professionnel dans une interview sans langue de bois.
 

 

M. ANDRÉ : Vous avez initialement suivi des études de romanes. Qu’est-ce qui vous a incité à basculer dans le droit par la suite ?

R. ROBAYE : J’ai d’abord choisi les romanes car je rêvais d’enseigner depuis mon enfance. Or, le français me paraissait être la matière la plus séduisante dans le programme du secondaire. J’étais non seulement attiré par la beauté de la littérature française, mais au-delà de cet aspect je trouvais que ce cours permettait d’introduire les étudiants à une philosophie de vie en plus de leur apporter un bagage philologique et littéraire.

Quant au droit, j’y suis venu un peu par hasard. Lors de ma 1ère licence en romanes à Louvain (Leuven), je kotais avec des étudiants juristes que je raillais souvent avec les plaisanteries habituelles, du genre : « Tu fais le droit ? Et l’après-midi, tu fais quoi ? » (rires). Au cours d’une soirée, ils m’avaient alors mis au défi de réussir la première année de droit, ce que j’avais parié pour un casier de bières. J’ai donc suivi ma première année de licence en romanes en même temps qu’une première candidature en droit. Cela dit, comme à l’époque les deux programmes avaient beaucoup de matières en commun, je n’avais que quelques examens à présenter. Une fois la première année de droit réussie, j’ai continué sur ma lancée. À ce moment-là, j’ai aussi choisi de suivre une licence en sciences historiques, car j’avais une idée plus précise de ce que je voulais faire au niveau professionnel. J’envisageais en effet de combiner l’enseignement et le droit. Dans cette optique, le droit romain me paraissait être un bon créneau.

 

M. ANDRÉ : Après vos études, quelle a été la suite de votre parcours ?

R. ROBAYE : Entre la fin de mes études et la période où j’ai commencé à travailler, j’ai d’abord fait mon service militaire. Ma bonne étoile a alors bien fait les choses puisque, dès cette époque, j’ai pu enseigner le français et l’histoire à l’école des sous-officiers à Dinant. Par la suite, j’ai obtenu un mandat d’assistant à mi-temps en droit romain à l’Université catholique de Louvain. Parallèlement, j’assurais aussi des intérims dans l’enseignement secondaire, principalement en français et aussi un peu en histoire. De fil en aiguille, j’ai privilégié mon mandat d’assistant, qui m’a permis de réaliser une thèse de doctorat. En outre, j’avais pris le goût de l’enseignement à l’université et, à bien y réfléchir, le public d’étudiants n’y était pas fondamentalement différent de celui que j’avais rencontré en secondaire. Je suis donc passé à temps plein à l’UCL et, après ma thèse, j’ai été nommé chercheur qualifié au F.N.R.S. J’ai alors occupé un mandat de recherche pendant trois ou quatre ans tout en donnant cours. J’ai ensuite été transféré au cadre de l’université comme chargé de cours car j’avais fini par accumuler trop d’heures d’enseignement. Au début des années 1990, tout en restant principalement affecté à l’UCL, j’ai accepté de donner un cours à la Faculté de droit de Namur. C’était un réel plaisir de retrouver ma ville d’origine. Petit à petit, d’autres cours se sont libérés, et j’en suis arrivé à augmenter ma charge à Namur et à ne garder à l’UCL que le cours de droit romain, que j’enseigne d’ailleurs toujours aujourd’hui.

 

 

M. ANDRÉ : À votre arrivé à Namur, vous avez remplacé le Père Maon dans certains cours. N’aviez-vous pas trop la pression de succéder à cette icône de la Faculté ?

R. ROBAYE : C’est vrai qu’il était une icône de la Faculté, mais sans vanité ni orgueil mal placé, je peux dire que je n’ai pas ressenti de pression à le remplacer car, d’une part, j’avais déjà 10 ans d’expérience dans l’enseignement universitaire derrière moi et, d’autre part, parce que le contact avec les étudiants namurois s’est très bien passé dès le départ. Bref, la mayonnaise a pris rapidement et je n’ai pas éprouvé de difficulté particulière.

 

M. ANDRÉ : Avez-vous une anecdote à nous raconter sur vos années d’enseignement à Namur ?

R. ROBAYE : J’en ai une qui montre que l’œil aiguisé du professeur ne change pas avec les années, mais qu’on vieillit malgré tout. Ça se passait lors d’un cours. Il y avait dans l’auditoire une étudiante qui avait attiré mon regard car j’étais persuadé de l’avoir déjà rencontrée. À l’intercours, je me suis donc approché d’elle pour le lui demander et en avoir le cœur net. L’étudiante en question m’a alors répondu : « Non, vous ne m’aviez jamais vue, en revanche vous avez bien connu ma maman ». Aussitôt, je me rends compte de la méprise et m’aperçois effectivement que l’étudiante ressemble beaucoup à une fille que j’avais connue à l’époque où j’étais étudiant. J’ai été amusé, mais il n’empêche que ça m’a mis un sacré coup de vieux (rires).

 

M. ANDRÉ : En 1997, votre élection au poste de doyen a coïncidé avec les 30 ans de la faculté. Comment cet anniversaire a-t-il été célébré ?

R. ROBAYE : La célébration avait été assez classique. La cérémonie académique avait ainsi été ponctuée de plusieurs discours pour souligner les grands moments de l’histoire de la faculté, son originalité et la place consacrée à l’encadrement et à la recherche. Un livret reprenant ces discours avait aussi été réalisé pour conserver une trace écrite de l’événement. Un repas était ensuite organisé à l’Arsenal avec les autorités et le personnel de la faculté.

 Là où l’événement était peut-être un peu plus original, c’est que j’y avais convié le bourgmestre de Namur de l’époque, Monsieur Jean-Louis Close, qui était ravi d’être présent. En discutant un peu avec lui, j’appris en fait qu’il n’avait encore jamais été invité officiellement à un événement organisé par les facultés. C’était sans doute dû au clivage politique. Toujours est-il que cette ignorance me paraissait regrettable dans la mesure où il y avait des synergies évidentes à développer entre la ville et l’université. Avec le recul, j’aime à penser que cette modeste invitation a peut-être été le début d’une collaboration plus étroite, qui a ensuite pu se développer.

 

M. ANDRÉ : Comme doyen, vous avez également participé au projet d’ouverture d’un deuxième cycle en collaboration avec l’Université de Liège...

R. ROBAYE : Ce fut une expérience audacieuse, mais qui a échoué. L’idée était de profiter d’une faille dans la législation, qui permettait à l’ULG de créer des programmes d’enseignement en dehors de la Province de Liège. Les autres universités étaient en fait cantonnées à un ressort géographique, mais il s’avérait que le législateur avait oublié de restreindre celui de l’Université de Liège. Bref, je me suis dit à l’époque que nous aurions tort de ne pas profiter de cette faille dans la mesure où la Faculté de droit de Namur restait isolée et fragile avec son unique programme de candidature de deux ans. Il y avait là une belle occasion qui se présentait de créer un pôle universitaire mosan où chaque institution aurait trouvé son compte. L’Université de Liège pourrait ainsi se développer sur Namur, tandis que la Faculté de droit de Namur élargirait son offre. Le projet de coopération fut au départ soutenu par le rectorat, puis, pour des raisons politiques, le délégué du gouvernement a mis son veto pour interrompre les discussions entre les deux institutions. Le rectorat décida alors de lâcher prise, et le projet fut finalement enterré peu après. L’avenir a heureusement permis à la Faculté de droit de se développer autrement avec l’ouverture d’un programme de bachelier plus consistant que l’ancien programme de candidature.

 

M. ANDRÉ : Depuis octobre 2013, vous êtes avocat au barreau de Namur. Qu’est-ce qui a motivé cette orientation tardive après avoir passé plus de 30 ans dans l’enseignement ?

R. ROBAYE : C’est vrai que c’est un choix tardif et qui peut paraître surprenant quand on sait que j’ai dû m’inscrire comme stagiaire et suivre les cours CAPA avec de jeunes juristes dont j’aurais pu largement être le père (rires). Et j’ai présenté les examens de fin de première devant des professeurs que j’avais eus comme étudiants !

 

 

Quant aux motivations, j'en retiendrais trois. D’abord, il me paraît primordial de changer régulièrement d’activités sous peine de tomber dans la routine et la sclérose. Or, comme j’avais eu quelques belles expériences de gestion au cours des dix années précédentes, notamment aux Presses universitaires de Namur et dans le cadre du décanat de la Faculté de droit, je me suis dit que c’était le bon moment pour prendre un nouveau souffle. Ensuite, j’ai ressenti le besoin d’approcher le droit dans une dimension plus pratique. En devenant avocat, je me suis vraiment rendu compte qu’il existait un fossé entre ce que l’on enseigne à l’université et la façon dont le droit est appliqué devant les cours et tribunaux. Plus personnellement, enfin, je dois avouer que je commençais à voir venir le moment où je ne serais plus autorisé à donner cours et que je ne me résignais pas à l’idée de cesser toute activité professionnelle du jour au lendemain. Or, le barreau me permet de rester dans la vie active plus longtemps puisque je ne suis pas soumis à une limite d’âge comme avocat.

 

M. ANDRÉ : Pour en revenir à la Faculté de droit, qu’est-ce qui, selon vous, en fait l’originalité et la richesse ?

R. ROBAYE : Contrairement à une idée défendue par certains, je dirais pour commencer que l’encadrement n’est pas meilleur à Namur qu’à Louvain-la-Neuve, pour la simple et bonne raison que dans une situation de concurrence, les méthodes pédagogiques qui fonctionnent ont tendance à se diffuser rapidement d’une université à l’autre. En revanche, la Faculté de droit de Namur a les avantages de ses inconvénients. J’entends par là qu’en raison de sa taille modeste, il y est plus facile de se constituer un réseau de contacts et de connaissances. L’étudiant s’y sent moins perdu, il dispose de plus de repères et les « filets de sauvetage » en cas de difficulté y sont plus facilement accessibles que dans d’autres universités de plus grande taille.

 

M. ANDRÉ : Vous êtes un grand amateur de la revue et des festivités étudiantes en général. D’après vous, il est important de franchir les barrières rigides entre professeurs et étudiants de temps à autre ?

R. ROBAYE : Je crois d’abord que l’enseignement universitaire ne se limite pas à transmettre une matière et des compétences. Je reste persuadé qu’il sert aussi à faire passer un message, une philosophie de vie aux étudiants. En tous cas, je ne me prive pas de susciter l’une ou l’autre réflexion en lien avec l’actualité dans mes cours. Pour avoir de l’impact, cette fonction d’éducation suppose toutefois nécessairement une certaine proximité avec les étudiants.

Plus personnellement, j’apprécie la compagnie des étudiants du fait que je baigne dans l’enseignement depuis que je suis tout jeune. Boire un verre avec eux au cercle, participer à leurs soirées et à leurs soupers de cours fait selon moi partie intégrante du rôle de professeur à l’université. Et c’est toujours avec plaisir que je participe à leurs activités. Je constate par ailleurs que les étudiants eux-mêmes apprécient que les professeurs et assistants témoignent de l’intérêt pour les activités qu’ils organisent. Ils y voient, avec raison, une forme de reconnaissance.

 

 

M. ANDRÉ : En cette année de jubilé, quel bilan tirez-vous du chemin parcouru par la Faculté ?

R. ROBAYE : Je dirais que la Faculté de droit de Namur a su gérer sa croissance et qu’elle est aujourd’hui bien assise sur ses atouts. Certes, elle ne dispose pas de la force de frappe d’une faculté complète, mais elle maîtrise parfaitement son cœur de métier, particulièrement dans le domaine de l’enseignement. Il suffit de regarder l’étendue de la provenance géographique des étudiants pour s’en convaincre. Nous avons aujourd’hui un public originaire de Namur, du Hainaut, de Flandre et du Luxembourg. L’enseignement namurois reste donc très attractif et, à l’avenir, nous ne devons pas perdre de vue que c’est notre vocation première et notre principal atout.