Cécile de Terwangne

Longtemps, le corps professoral de la Faculté de droit est resté exclusivement masculin. Ce n'est qu'à partir des années 1990, et surtout au début du 21e siècle, que sa composition a commencé à se diversifier. Aujourd'hui, l'institution compte pas moins de 8 femmes au poste d'académique, qui occupent des charges de professeur dans le baccalauréat de jour, le baccalauréat à horaire décalé ou dans le master en Droit des technologies de l'Information et de la Communication. Parmi elles, figure Cécile de Terwangne, à qui revient le titre de première professeure de la Faculté dans une matière juridique. Ancienne étudiante de la promotion 1986, elle revient sur ses années de candidature à Namur, dont elle se souvient particulièrement pour les professeurs Maon et Baufay.
 
M. ANDRÉ : Vous avez fait vos candidatures en droit à Namur (promotion 1986). Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

C. DE TERWANGNE : Ce choix n’a pas été facile, car j’ai longtemps hésité entre le droit et la médecine. Je crois que ce qui m’a finalement convaincue de choisir le droit, c’est l’ouverture qu’offrait cette discipline. Comme j’aimais beaucoup l’écriture, je me disais que cette ouverture me permettrait de me réorienter plus facilement dans la presse ou d’autres professions analogues au cas où le droit pur ne m’intéresserait pas. Mon choix était donc motivé par une certaine prudence.

Quant au choix de Namur, il s’est imposé comme une évidence. Selon moi, il y avait à Namur une qualité d’atmosphère de vie et d’étude qu’on ne retrouvait pas à Louvain-la-Neuve ou à Bruxelles. En plus de ça, l’université n’était ni trop petite ni trop grande et elle s’insérait dans une ville vivante et équilibrée.

 

M. ANDRÉ : Pouvez-vous nous parler un peu de vos professeurs de l’époque. Lequel vous a le plus marquée ?

C. DE TERWANGNE : Les deux figures les plus marquantes étaient incontestablement Pierre Maon et Étienne Cerexhe.

Le Père Maon était doué d’une personnalité rayonnante qui ne laissait pas les étudiants indifférents. Il attirait les foules, spécialement lors de ses leçons sur la responsabilité, qu’il illustrait par des exemples loufoques. Je me souviendrai toujours de cet épisode invraisemblable qu’il nous racontait à propos d’un accouchement qui avait mal tourné. Il s’agissait de l’histoire d’un médecin qui utilisait la technique dite « de la centrifugeuse » pour dégager les poumons d’un nouveau-né. Au cours du mouvement, le bébé avait glissé des gants mal rincés du médecin et était passé par la fenêtre, avant de finir sa course dans les buissons d’une route à quatre bandes qui bordait l’hôpital. La question était alors de savoir qui était responsable de l’accident : était-ce l’infirmier qui avait mal nettoyé les gants ? Était-ce le chirurgien qui avait utilisé une technique complètement absurde ? Était-ce l’infirmier qui avait laissé la fenêtre de la chambre ouverte ? En plus de cela, l’irruption du bébé sur la route avait surpris un automobiliste qui avait freiné brutalement, provoquant derrière lui un véritable carambolage. On n’a jamais su si cette histoire était vraie. Le Père Maon disait s’appuyer sur des cas réels. Mais il faut bien avouer que le descriptif qu’il donnait avait sans doute largement dépassé les faits, et qu’il devait sans doute en rajouter un peu plus chaque année (rires).

 

 

Étienne Cerexhe était un phénomène d’un tout autre genre. Il était à la fois autoritaire et excellent pédagogue. En 1ère année, ses cours étaient d’une extraordinaire clarté.  

Une autre figure marquante était le professeur de psychologie et de sociologie, Monsieur Robert Dethier. Avec ses manières expansives et son accent de Verviers, c’était un personnage haut en couleur. Très matinal, il appréciait que les étudiants se présentent le plus tôt possible à son examen oral. Une rumeur disait d’ailleurs que les dix premiers étudiants à passer devant lui réussissaient systématiquement.

Un quatrième professeur qui m’a particulièrement marqué durant mes candidatures est Baudouin Meunier, qui enseignait le cours d’économie. Malgré son jeune âge, il faisait preuve de beaucoup de pédagogie et ses exposés étaient toujours d’une grande clarté pour des non-économistes. Il était très apprécié des étudiants.

Un dernier enseignant que je voudrais épingler est le professeur de philosophie, Jacques Baufay. Ses cours, qui ne duraient qu’une heure, étaient ciselés à la perfection. Au cours de ses exposés, il entrait dans une sorte de transe qui ne tolérait aucune perturbation dans l’auditoire. Chaque séance débutait par une citation et se clôturait sur une autre. C’était vraiment un temps privilégié, dont on ressortait grandi et admiratif.

 

 

M. ANDRÉ : Comment se déroulait une semaine-type ? Était-ce fort différent de ce que connaissent les étudiants aujourd’hui ?

C. DE TERWANGNE : Globalement, le semainier était assez proche de ce qu’il est aujourd’hui. Les heures de cours représentaient environ la moitié de notre horaire et étaient regroupées soit le matin, soit l’après-midi. L’autre moitié était occupée par les séances de travaux pratiques, qui sont la clé de la pédagogie en faculté de droit. En nombre d’heures, cela restait très raisonnable au total, surtout comparé à l’horaire stakhanoviste des étudiants de médecine. Madame Spineux, qui occupait le poste de secrétaire, veillait en outre à ne fixer aucune séance de cours le vendredi après-midi ainsi qu’aux deux premières heures du lundi matin afin de faciliter les trajets des étudiants koteurs. Cette attention particulière s’est d’ailleurs maintenue jusqu’à aujourd’hui.

 

 

M. ANDRÉ : Après Namur, quelle a été la suite de votre parcours ?

C. DE TERWANGNE : De façon assez classique, j’ai poursuivi mes licences à l’Université Catholique de Louvain. C’était le cas pour la majorité des étudiants namurois. En 3e licence, j’ai cependant eu la chance de faire partie des premiers étudiants à partir en Erasmus. À l’époque, il y avait encore très peu de destinations possibles. Mon choix s’est porté sur Paris, où j’ai passé un quadrimestre. Notre programme de cours sur place n’était pas trop lourd, aussi j’usais de mon temps libre pour profiter pleinement de la rencontre interculturelle avec d’autres étudiants étrangers. Nous étions en 1989, l’année du bicentenaire de la Révolution française, et nous allions assister à tous les spectacles organisés pour l’occasion. C’étaient de très bons moments.

Une fois diplômée, j’ai été engagée à la faculté de droit de Namur comme assistante. Au bout de deux ans, j’ai pu suspendre mon mandat pendant un an afin de suivre un master de spécialisation en droit européen et droits de l’homme à l’Institut européen de Florence. C’était une formation à laquelle j’attachais beaucoup d’importance et qui s’inscrivait parfaitement dans la ligne de mes travaux d’assistante. J’ai ensuite repris mon mandat à Namur, tout en étant chercheuse au CRID. Cela m’a permis de terminer ma thèse de doctorat et, ultérieurement, j’ai été nommée académique.

 

 
M. ANDRÉ : Vous avez été l’une des premières femmes à enseigner à la faculté. Dans un environnement essentiellement masculin, a-t-il été difficile de vous faire une place au départ ?

C. DE TERWANGNE : Sincèrement, je n’ai pas éprouvé de difficultés à me faire une place. En revanche, il est probable que ma vision féminine a pu bousculer les habitudes masculines de temps à autre. Je me souviens par exemple qu’à l’occasion d’une soirée étudiante sur laquelle les académiques devaient se prononcer, j’avais attiré l’attention de mes collègues sur la présence excessive d’alcool. Aujourd’hui, un tel discours n’aurait rien de surprenant, mais à l’époque c’était une nouveauté. En tant que femme, j’étais sans doute plus sensible à certaines questions.

Vis-à-vis des étudiants, le rapport était aussi un peu différent de celui de mes collègues masculins. Dans les premières revues où j’étais imitée, les étudiants me présentaient souvent comme leur grande sœur. C’était peut-être la marque d’une certaine complicité.

 

M. ANDRÉ : Vous enseignez depuis plusieurs années le cours de méthodologie juridique. Celle-ci a-t-elle beaucoup évolué par rapport à l’époque où vous étiez étudiante ?

C. DE TERWANGNE : Oui, le changement a été radical sous l’impact des nouvelles technologies. Aujourd’hui, la recherche documentaire s’opère presque exclusivement par voie électronique. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on m’a attribué le cours. Étant donné mes recherches en droit des technologies, j’étais en effet moi-même amenée à utiliser fréquemment ces nouveaux outils. Grâce à ceux-ci, le travail vers la source est aujourd’hui beaucoup plus direct et efficace. La part de hasard, qui pouvait autrefois jouer un grand rôle dans le succès d’une recherche, est désormais de l’histoire ancienne.

 

 

M. ANDRÉ : Vous enseignez également dans le cadre du master de spécialisation en droit des technologies de l’information et de la communication. Quel est le contenu et la finalité de cette formation ?

C. DE TERWANGNE : Depuis sa création en 1992, le master en DTIC a en fait beaucoup évolué. Au départ, le contenu était foncièrement pluridisciplinaire avec un tiers de droit, un tiers de « technologie » et un tiers de gestion. Avec la réforme des études supérieures, la formation a été rattachée au domaine « droit », et l’aspect juridique a fini par dominer le programme. La démarche juridique n’en demeure pas moins nourrie par des apports d’autres disciplines, comme les sciences économiques et de gestion. D’ailleurs, nous avons chaque année un certain nombre de non-juristes qui suivent le master. Cela permet vraiment d’enrichir les échanges aux cours. Aujourd’hui, notre objectif est de former des étudiants en droit des nouvelles technologies ou, plus précisément, en droit de l’Internet. Cela suscite évidemment des questions passionnantes en termes de propriété intellectuelle, de protection de la vie privée, de liberté d’expression sur les réseaux sociaux, etc.

 

M. ANDRÉ : De manière plus générale, qu’est-ce qui, selon vous, fait l’originalité de la faculté de droit de Namur ?

C. DE TERWANGNE : Sans aucun doute l’attention accordée aux étudiants. Les Jésuites parlent, à cet égard, de « cura personalis », un concept qui renvoie au soin apporté dans les relations avec les individus. Cette attention se manifeste, par exemple, dans l’aménagement des horaires ou dans la disponibilité du corps enseignant, que ce soit pendant ou après les cours, lors de la consultation des copies d’examen, etc.

 
M. ANDRÉ : À votre avis, quels sont les grands défis futurs de la faculté de droit ?

C. DE TERWANGNE : J’en vois deux de première importance. Le premier est d’ordre pédagogique. Il s’agit d’adapter nos enseignements pour qu’ils tiennent compte du caractère multiattentionnel des étudiants actuels qui ne sont plus portés à suivre une seule source d’information pendant deux heures. Le second touche au contenu de nos formations. Dans une société où les carrières de type linéaire ne sont plus la norme, la faculté a une responsabilité dans l’organisation de formations continues pour accompagner les travailleurs dans les « méandres » de leur parcours professionnel.