1978-1992 : essor et développement de la recherche
Le ton est donné par le doyen lui-même à la fin des années 1970. À cette époque, une expertise lancée par le Ministre Humblet dans le cadre d’une coopération avec la République de Haute-Volta (l’actuel Burkina Faso) démontre les carences de la formation juridique dans ce pays d’Afrique occidentale et en conclut fort logiquement à l’opportunité de créer une faculté de droit dans la capitale. Épris d’ouverture en direction des pays pauvres, Étienne Cerexhe répond favorablement à l’appel du gouvernement belge et devient le fondateur de l’École Supérieure de Droit de Ouagadougou, qui ouvre ses portes en octobre 1978. Dès ce moment, plusieurs membres de la faculté de Namur font le voyage annuellement pour y dispenser des cours, jusqu’à ce qu’un corps professoral local soit constitué. D’autres professeurs namurois prendront à nouveau le chemin du Burkina Faso dans les années 2000, lorsque la première génération d’enseignants ouagalais approcha l’âge de la retraite et qu’il fallut préparer la relève académique. Entretemps, l’École Supérieure de Droit de Ouagadougou, dotée rapidement d’une excellente bibliothèque, était devenue une référence dans la région. Elle devait d’ailleurs attirer un nombre croissant d’étudiants des pays limitrophes, comme le Niger, le Mali ou encore la Côte d’Ivoire.
Tout en diffusant son expertise à l’étranger, la faculté de droit de Namur s’attelle également, à cette époque, à développer la recherche intramuros. Il faut dire que, depuis 1967, celle-ci n’a pas vraiment été au centre des préoccupations de la jeune institution qui, dans ses premières années, se voulait avant tout un lieu de formation. Certes, un premier domaine de prospection avait été retenu dès la naissance de la faculté : le droit économique et financier, en particulier le droit du crédit. Mais jusqu’au début des années 1970, la recherche juridique s’y exerçait encore de manière traditionnelle, c’est-à-dire individuellement et en vase clos. Au milieu des années 1970, la pratique évolue cependant sous l’influence des transformations que connaissent les structures de l’État belge. Le développement d’un droit régional en constante mutation donne ainsi lieu à la création d’un Centre d’Études juridiques des problèmes régionaux, qui constitue un premier pas vers la recherche collective. Outre le traitement informatisé de la législation régionale et communautaire, ainsi que de la jurisprudence, celui-ci mène des études comparatives et publie une Revue régionale de droit en collaboration avec la magistrature, le barreau et le notariat des provinces de Namur et Luxembourg. Rythmé par les réformes successives de l’État belge, ce centre connaîtra d’importants pics d’activités, comme au début des années 1980 avec la création des régions flamande et wallonne, ou lors de la naissance de l’État fédéral en 1993. Il disparaît malheureusement peu de temps après le retrait de son fondateur de la scène universitaire en 1996.
Entretemps, la faculté allait s’enrichir de deux autres centres, qui à la dimension collective introduite timidement par le précédent, viendraient ajouter un caractère résolument interdisciplinaire à la pratique de la recherche juridique à Namur. Fondé en 1979 à une époque où l’informatique pénètre progressivement la société civile, le premier est le fruit d’une démarche conjointe de l’institut d’informatique dirigé par Jacques Berleur et d’un jeune juriste qui allait rapidement en prendre la tête, Yves Poullet. Baptisé « Centre de Recherches Informatique et Droit » ou CRID, il fait œuvre de pionnier en adoptant d’emblée une structure interfacultaire, inédite en Belgique, qui rassemble dans une même équipe des membres de l’institut d’informatique, de la faculté de droit, de la faculté des sciences économiques, ainsi que des associés extérieurs représentant les milieux professionnels. Novateur sur la forme, le CRID l’est aussi sur le fond. Il entend étudier les relations entre l’informatique et le droit et leurs implications. Au niveau des thématiques de recherche, il focalise d’abord son attention sur quatre domaines particuliers : l’informatique et les libertés, l’informatique et l’aide à la décision judiciaire, les contrats d’acquisition de produits informatiques et la télématique envisagée sous les aspects institutionnels et de droit privé. Tout au long de son existence, il saura adapter et élargir ce champ d’investigation en suivant attentivement le développement des technologies de l’information et de la communication. En matière d’approche méthodologique, le CRID privilégie dès le départ la combinaison des points de vue de plusieurs disciplines ; il s’agit de décloisonner les discours, de croiser les regards. Fort de cette originalité et animé par des chercheurs dynamiques, le centre ne tarde pas à se tailler une solide réputation, qui lui permet de décrocher d’importants contrats d’expertise avec des administrations, des entreprises publiques ou privées. Parallèlement, le CRID travaille également à la diffusion des connaissances dans ses domaines de recherche. À cet effet, il publie une revue, Les Cahiers du CRID, et se dote d’un centre de documentation accessible aux praticiens et au grand public. Cerise sur le gâteau, le centre inaugure en 1992 le lancement d’une formation spécialisée de troisième cycle en « droit et gestion des technologies de l’information et de la communication » (DTIC). Gage de rayonnement supplémentaire pour le centre, elle remporte un succès immédiat. La même année, ce dynamisme multifacette porte ses fruits : le CRID est reconnu comme centre d’excellence dans le cadre du programme européen « Capital humain et mobilité ». Auréolé de ce nouveau statut, il va nouer d’étroits liens de collaboration avec des centres équivalents dans plusieurs pays d’Europe occidentale.
À l’instar du CRID, le deuxième centre de recherches interdisciplinaire dont se dote la faculté de droit est le fruit d’un colloque. Organisé en 1984 dans un contexte de crise socio-économique, celui-ci avait pour thème « Les droits des citoyens les plus démunis ». La même année, le nouveau recteur élu, Jacques Berleur, évoquait dans son discours de rentrée académique une nouvelle responsabilité des universitaires en temps de crise. Profitant du financement ouvert pour des recherches à caractère social, la faculté de droit lança un projet plus large visant à mesurer l’écart entre le droit et les pauvres ou, plus précisément, entre les intentions du législateur et les pratiques effectives de l’application des normes juridiques auprès des personnes affectées par la pauvreté ou la précarité. De ce projet, naquit le Centre « Droit et sécurité d’existence », dont les premiers chercheurs furent engagés début 1986. Initialement composée de juristes, l’équipe accueillit rapidement un sociologue, plusieurs philosophes et même un économiste. Les premières études portèrent sur l’application, par les CPAS, des lois sur l’aide sociale et le minimum des moyens d’existence. Par la suite, les travaux du centre furent élargis à d’autres problématiques comme les soins de santé, la protection de la jeunesse, l’accès à la justice, la précarité du logement, les réfugiés, l’immigration, etc. En parallèle, un important travail de définition des concepts mobilisés par la recherche fut conduit. Placé sous la direction de Xavier Dijon, un jésuite très réceptif aux questions de justice sociale, le Centre « Droit et sécurité d’existence » ne tarda pas à multiplier les contrats de recherches pour diverses institutions, parmi lesquelles l’Union des Villes et Communes, la Fondation Roi Baudouin, le Ministère de l’Intégration sociale, etc.
Parallèlement au développement des centres de recherches, les années 1980 coïncident également avec la création des départements. Ces nouvelles structures entendaient être à l’enseignement de la faculté ce que le Centre d’Études juridiques des problèmes régionaux et le CRID étaient à ses activités de recherche : des lieux privilégiés de discussion pour favoriser une approche pluridisciplinaire du savoir. Il s’agissait également de substituer au modèle hiérarchique de gouvernement une gestion décentralisée, rendue nécessaire par l’augmentation du nombre de postes académiques et scientifiques, elle-même consécutive à l’accroissement du nombre d’étudiants. Quatre départements sont ainsi reconnus en 1984 et placés sur un pied d’égalité. Le premier, le département droit, englobe les matières juridiques, du droit romain au droit judiciaire et pénal, en passant par l’introduction au droit privé et public, le droit comparé et la méthodologie. Le second, le département philosophie, regroupe les enseignements de sciences religieuses, d’anthropologie philosophique, de théorie générale de la connaissance, de métaphysique et de morale. Sous l’étiquette « sciences humaines », le troisième comprend la psychologie, la sociologie, l’histoire socio-politique de l’Ancien Régime et de l’époque contemporaine, l’histoire des idées et le droit naturel. Enfin, le département économie réunit les enseignements de micro et macroéconomie, la comptabilité, l’économie de l’entreprise et les relations économiques internationales. En reconnaissant l’existence de ces départements et en réservant une place de choix à d’autres disciplines dans la formation juridique, la faculté inscrivait ainsi plus que jamais sa candidature sous le signe de l’interdisciplinarité et de l’humanisme moderne.
À l’orée des années 1990, le bateau de la faculté de droit de Namur semble avoir trouvé son rythme de croisière. Au niveau de l’enseignement, son programme de cours s’est étoffé et diversifié dans les matières juridiques tout en conservant un solide ancrage dans d’autres sciences humaines. Davantage orienté vers la responsabilisation et l’autonomisation de l’étudiant, le système d’encadrement pédagogique continue de faire ses preuves et constitue toujours un puissant gage d’attractivité. Enfin et surtout, la faculté est entrée de plain-pied dans l’ère de la recherche collective et interdisciplinaire avec la constitution de deux centres spécialisés. Au niveau de la direction de l’institution et du personnel enseignant, le début de cette nouvelle décennie marque pourtant la fin d’une époque. En 1987, Étienne Cerexhe quitte en effet son siège de doyen de la faculté pour se consacrer à sa carrière de sénateur. Maon lui succède à ce poste jusqu’en 1990, puis quitte définitivement la scène universitaire l’année suivante. Le 30 novembre 1991, dans un amphithéâtre Pedro Arrupe comble, un vibrant hommage lui est rendu, précédé par un concert de musique baroque qu’il apprécie tant. Une page se tourne alors dans l’histoire de la faculté. Mais une autre s’ouvre avec la nomination d’un jeune doyen énergique et l’arrivée d’une nouvelle génération de professeurs qui ont déjà, pour certains, l’expérience de la faculté comme assistant ou chercheur. Ensemble, ils vont perpétuer l’œuvre des pères fondateurs de la faculté de droit tout en apportant leurs propres pierres à l’édifice de l’enseignement et de la recherche juridiques namurois.
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