1967-1977 : naissance et premiers pas

La fin des années 1960 est marquée par un très net accroissement du nombre d’étudiants dans l’enseignement supérieur. C’est la conséquence du « baby-boom » qui, après 1945, a vu le taux de natalité exploser dans le monde occidental. En Belgique, le nombre total d’étudiants inscrits dans les enseignements universitaire et technique supérieur fut ainsi presque quadruplé en 15 ans, passant d’environ 32 000 en 1955 à plus de 118 000 en 1970. Cette évolution en entraîna une autre, favorisée par le contexte économique des « golden sixties » : l’augmentation substantielle des dépenses publiques dans le secteur de l’enseignement. Elle fut aussi à l’origine d’un programme de réformes de certaines études universitaires. C’est dans ce contexte remuant et optimiste que les études de droit allaient acquérir leur autonomie propre.

          Jusqu’en 1967, la formation de 1er cycle en droit relevait en effet des facultés de philosophie et lettres. De ce fait, elle consistait essentiellement en une série de cours de culture générale (philosophie, histoire, littérature, etc.) complétés de quelques matières spécifiques, telles que l’introduction historique au droit privé et le droit romain. Les facultés de droit à proprement parler n’assuraient, pour leur part, que l’apprentissage de deuxième cycle, qui se présentait sous la forme d’un cursus de trois ans couronnés par un titre de docteur sans thèse. Ce cadre fut réformé par un arrêté royal daté du 18 mai 1967 organisant une candidature en droit à part entière par la scission de la candidature en philosophie et lettres. Pour les Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur (FUNDP), l’ouverture de cette candidature impliquait la création d’une nouvelle faculté.

          Pour lancer et diriger cette institution appelée à un bel avenir, les autorités universitaires namuroises sollicitèrent un juriste d’expérience, licencié en notariat, docteur en droit de l’Université catholique de Louvain et de l’Université de Paris, Étienne Cerexhe. Promis à une brillante carrière politique comme chef de cabinet puis comme sénateur, celui-ci fut incontestablement le « père fondateur » de la jeune faculté de droit namuroise. Mais il n’aurait sans doute pas aussi bien réussi dans son rôle sans le concours d’un compagnon de la première heure, un jésuite peu ordinaire de 5 ans son aîné, le Père Maon. Pendant 20 ans, ce duo de personnalités contrastées mais complémentaires allait tenir sans partage la barre du bateau de la Faculté de droit de Namur, Cerehxe comme doyen inamovible jusqu’en 1988, Maon en tant que secrétaire académique « perpétuel » jusqu’en 1987. Travailleur opiniâtre et organisateur hors-pair, le premier fut l’initiateur d’une pédagogie innovante et le champion de la rigueur. Orateur passionné et engagé, doué d’une immense culture et d’un solide sens de l’humour, le second plaça l’étudiant au centre des préoccupations de la jeune faculté et lui insuffla son esprit de convivialité si singulier. Ensemble, pour reprendre la formule de Paulin Duchesne, « ils donnèrent à la Faculté de droit de Namur sa personnalité ».

 

 

          En attendant la construction de nouvelles infrastructures modernes et adaptées dans le quartier universitaire, la Faculté de droit fut installée provisoirement dans les bâtiments de l’ancien orphelinat pour jeunes filles du Sacré-Cœur, situés rue Ernotte, à la limite entre Namur et Saint-Servais. C’est là, dans des locaux plutôt vétustes et exigus autrefois occupés par les Sœurs de la Charité, que les étudiants de candidature en droit des FUNDP allaient connaître leur première rentrée académique. En ce mois de septembre 1967, ils sont déjà une bonne centaine à répondre à l’appel de la science juridique ! Il faut dire que, dès le départ, les autorités de la jeune faculté se sont donné les moyens de ce succès. Profitant du champ de liberté laissé par le législateur quant à l’organisation du programme de cours, ses fondateurs ont en effet préservé l’ancrage philosophique et littéraire des anciennes études de droit tout en accordant une place plus importante aux matières juridiques. Ainsi, si en 1ère année le volume d’heures réservées à ces dernières ne représentait encore qu’un petit tiers du nombre total d’heures de cours suivies par les étudiants, il en atteignait la moitié en deuxième année, voire plus si l’on tient compte des heures de méthodologie. En outre, partant du triple constat que la distance entre l’enseignant et l’étudiant est plus grande à l’université, que la charge de travail y est plus importante et que l’étudiant y est moins surveillé, Cerexhe et Maon imaginèrent un système d’encadrement pédagogique original visant à assurer une transition en douceur entre les études secondaires et universitaires. Fondé sur la participation active des étudiants, celui-ci consistait en une série de séances de révisions et d’applications pratiques supervisées par des assistants. Fonctionnant par petits groupes de 15 à 20 étudiants, elles préfiguraient en fait les séances de TP/monitorats actuelles et devaient faire leur preuve dès les premières années en garantissant un pourcentage de réussite de l’ordre de 60 à 65% en 1ère candidature. Fort de ce succès, la faculté vit d’ailleurs ses inscriptions rapidement augmenter, et le besoin d’infrastructures plus spacieuses et mieux adaptées ne s’en fit que plus durement ressentir.

          Le grand déménagement au 5 Rempart de la Vierge s’effectua début janvier 1973, une fois les vacances de Noël terminées. Sobre et conventionnel de l’extérieur, mais d’un agencement interne audacieux où se conjuguent espace et lumière, le nouvel édifice qui accueille la faculté est l’œuvre de l’architecte Roger Bastin, surnommé le « poète du béton ». On lui devra également la Faculté d’informatique, la Bibliothèque Universitaire Moretus Plantin ou encore la rénovation de l’Arsenal. Répartis sur trois étages, les nouveaux locaux contrastent résolument avec les installations de la rue Ernotte par leur modernité. Au rez-de-chaussée, se trouvent le hall d’entrée, avec les valves académiques, et le niveau supérieur des deux principaux auditoires. Le 1er étage est occupé en son centre par la bibliothèque, sorte de « laboratoire juridique » autour duquel gravitent les bureaux des assistants, de petits auditoires et des salles de classe pour les encadrements. Le deuxième étage accueille, quant à lui, les bureaux des autorités facultaires, ceux du centre de recherche, le secrétariat de Mlle Gadisseur – future Mme Spineux – et une autre série de locaux dédiés à l’enseignement. Pour sa part, le 3e étage demeure dans un premier temps inoccupé, mais il est prévu, à terme, d’y accueillir les licences. Last but not least, le sous-sol donne accès à un vaste foyer étudiant, lieu de détente par excellence bientôt équipé d’un bar sur l’insistance du Président du Cercle de Droit de l’époque, un certain Christian Panier. Oubliant les pannes de courant, les défaillances de chauffage, les courants d’air, les inondations et les incendies qui avaient été son lot quasi quotidien à la rue Ernotte pendant 5 ans, la Faculté de droit pouvait désormais couler des jours heureux.

 

 

          Les réjouissances ne se font d’ailleurs pas attendre longtemps. Pour célébrer l’inauguration des nouveaux locaux, un cocktail réunissant le personnel et les étudiants est ainsi organisé au sous-sol de la Faculté. L’heure est alors à la détente et à la convivialité, comme en témoignent les nombreux clichés ayant immortalisé l’événement. Et comme c’est le jour de l’Épiphanie, le doyen a fait commander un énorme gâteau des rois qu’il découpe avec les étudiants. Des étudiants qui, loin s’en faut, ne sont pas bons qu’à « guindailler », mais qui s’intéressent aussi aux grandes questions de leur époque, telles que la régionalisation ou la monnaie européenne. Celles-ci font ainsi l’objet de deux importants débats politiques organisés par le Cercle en février 1973. Mais l’événement le plus mémorable de ce début d’année 1973 est sans conteste la Revue de la faculté, spectacle au cours duquel les étudiants s’emploient à caricaturer leurs professeurs dans un balai d’imitations aussi osées que loufoques. Première d’une longue série, cette manifestation deviendra rapidement une tradition incontournable de la faculté et son succès, comme l’ont encore démontré les récentes éditions, ne se démentira jamais. Décidemment riche en événements, l’année 1973 voit également la constitution, en novembre, de l’Association des Anciens de la Faculté de droit de Namur. Composé notamment des professeurs Étienne Cerexhe et Albert Danse, mais aussi d’un certain Yves Poullet, encore étudiant à l’époque, cet organisme se fixe alors comme buts de resserrer les liens entre la Faculté et ses anciens étudiants et de leur apporter aide et conseils au moment d’entrer sur le marché du travail. Près de quarante-cinq ans plus tard, ces objectifs constituent toujours les principales préoccupations de l’actuelle ADANam.

 

 

          Évoquons maintenant quelques-unes des figures qui furent les vecteurs de la connaissance et les rouages de l’enseignement en Faculté de droit durant ses dix premières années d’existence. Au-delà des incontournables Cerexhe et Maon qu’on ne présente plus, remémorons d’abord à nos anciens le souvenir du père André Boland. Ami de Maon avec qui il partageait d’ailleurs sa passion pour la moto, ce professeur d’histoire contemporaine fut un conférencier exceptionnel, doué d’un incontestable sens de la théâtralité. Rappelons-leur ensuite le professeur Georges Hansotte, historien lui aussi, dont les cours sur les institutions d’Ancien Régime étaient régulièrement chahutés, mais qui n’en tenaient par rigueur à ses étudiants lorsque le sort de ceux-ci était en jeu aux délibérations. Évoquons également le professeur Jerzy Lukaszewski, qui devint recteur du Collège d’Europe en 1972. Polonais ayant fui le régime communiste, ses exposés sur les systèmes politiques des pays de l’Est fascinèrent les auditoires en pleine période de Guerre froide. Songeons aussi à Albert Maes, professeur de micro-économie aux allures de dandy, surnommé par dérision « Maeznavour » du fait de sa ressemblance avec le chanteur-interprête français. Évoquons encore le père Lahaye, excellent conférencier, un peu narquois et plein de mimiques. Pendant plusieurs années, il fut en charge des cours de philosophie, de métaphysique, de sciences religieuses et de morale. Rappelons enfin les qualités de pédagogue de Paulin Duchesne, assistant en économie politique, dont l’aide et la sollicitude furent précieuses pour de nombreux étudiants désorientés.    

 

 

 

          L’année 1977 fut l’occasion de dresser un premier bilan de la réforme des études de droit. Celui-ci fit l’objet d’un colloque organisé en novembre par la Faculté de droit de Namur à l’occasion de son dixième anniversaire. Preuve de l’importance du thème débattu et du rayonnement de l’institution namuroise, il rassembla un très grand nombre de spécialistes de la discipline venus de tout le royaume, théoriciens et praticiens, mais aussi des autorités académiques d’autres facultés, quelques personnalités du monde politique et bien sûr les premiers concernés, des étudiants. Les exposés de la matinée permirent notamment d’identifier les lacunes de la formation au regard des exigences de la pratique professionnelle et avancèrent plusieurs pistes d’orientations futures à expérimenter. Parmi celles-ci, une attention particulière fut accordée à l’actualisation des programmes pour qu’ils « collent » mieux aux réalités, en confrontant les étudiants avec la problématique juridique dès les premières heures de cours. Ces présentations alimentèrent ensuite un débat général présidé par le professeur Paul de Visscher, principal artisan de la réforme de 67, qui fut lui-même suivi l’après-midi d’un travail de réflexions en commissions. Pour finir, la séance académique de clôture fut ponctuée par les allocutions du doyen de la faculté, du Révérend Père Troisfontaines, recteur des FUNDP, et du Ministre de l’Éducation nationale Joseph Michel. Dans son discours, Étienne Cerexhe rappela les trois lignes de force qui avaient guidé les responsables de la réforme dans la Faculté namuroise, et comment ce triple objectif s’était traduit sur le terrain. Il insista notamment sur la valeur de l’éducation permanente, à travers la pratique désormais bien rôdée des recyclages en droit, et sur l’originalité et l’efficacité des méthodes pédagogiques appliquées à Namur. Ces outils, la Faculté de droit allait les perfectionner et les diversifier au cours des décennies suivantes, tout en continuant à innover, particulièrement dans le domaine de la recherche.

 

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